Souvent sans raison (selon moi, car déjà à l’époque, j’avais la sagesse et la modestie que l’on me connaît aujourd’hui), mon groupe entier me tournait le dos et refusait de m’adresser la parole pendant plusieurs jours. Je ne parvenais à m’extirper de ma disgrâce qu’au prix de stratégies et de calculs compliqués — qui excluaient systématiquement un autre membre du groupe, car la vie est une chienne — jusqu’à la fin de la puberté.
C’était long.
Je te l’accorde cependant : il y avait une certaine exaltation dans nos relations de jeunesse qui peut manquer à l’âge adulte où tout est plus… mou.
À l’époque, on s’aimait à la vie, à la mort, au point de faire des trucs complètement cons comme se piquer le doigt avec un compas pour mêler nos sangs sur une feuille A4 Clairfontaine. Aujourd’hui, les démonstrations amicales les plus fougueuses se résument à essayer de planifier un verre ASAP et tout de même réussir à dîner ensemble dans les six mois…
Les codes de l’amitié à l’âge adulte
Peut-être que ce que tu prends pour de la froideur et de la distance, c’est seulement une vie bien remplie qui préfère laisser le temps faire son œuvre et se retrouver sereinement un peu plus tard ? Car ne nous mentons pas, l’intensité omniprésente dans nos amitiés d’ados et d’enfants est devenue l’ennemie numéro un des amitiés adultes !
Une nouvelle copine trop insistante ? Ouh là qu’est-ce qu’elle me veut celle-là… Chelou, allez je ghoste. Un pote qui fait la gueule à mort parce qu’on a décommandé deux fois ? Arrête de me stresser dude, on est pas mariés… (Heureusement, purée, je plains son mec.)
L’amitié adulte, en tout cas selon moi, prend son temps, ne se formalise pas de SMS laissés sans réponses malgré une mention « vu » et accepte parfaitement qu’avant de se capter pour de vrai, on va se planter à tour de rôle au moins deux fois. C’est la base.
Moins soutenue, mais plus sereine : aujourd’hui, une embrouille avec sa meilleure amie (on n’a plus l’habitude de boire de l’alcool, alors après un demi de blanche, on raconte n’importe quoi) ne rime plus avec exil solitaire derrière la salle de permanence jusqu’à la fin de l’année scolaire !
S’expliquer sainement entre adultes consentants
Ceci dit, en cas d’embrouille, je pense qu’il est parfaitement possible de faire la paix comme avant, même passé 17 ans.
Si elles sont moins intenses, les relations respectueuses entre adultes se basent sur les mêmes mécanismes que les relations respectueuses entre enfants (ça existe ça ?) : écoute et compréhension !
Si quelqu’un est en tort, il s’excuse et ne recommence pas ; si personne n’est en tort et qu’en fait, c’est juste que tout le monde a mal compris (95 % des disputes répertoriées), on s’explique, on se laisse du temps pour digérer et on passe à autre chose.
Si une situation te pèse, n’hésite jamais à mettre ton orgueil de côté et à être l’instigatrice du premier pas.
Accepter (ou pas) que les gens changent
Parfois, on se dispute pour une raison bien précise — par exemple, on a renversé la mère de son ami d’enfance alors qu’on roulait ivre ou / et on ne lui a toujours pas rendu les 30 000 euros qu’il nous a prêtés il y a cinq ans. Des broutilles, quoi.
Parfois, c’est simplement le temps et la vie qui nous séparent, par exemple quand un ancien ami développe des valeurs qui entrent dorénavant en contradiction avec les nôtres.
Faut-il rester en bons termes avec une personne qui envisage de voter Eric Zemmour, sous prétexte qu’elle niquait le système en free party dix ans auparavant ? Je ne crois pas. Parfois, il faut accepter de reprendre la route en emportant les bons souvenirs dans ses bagages, mais en laissant l’ami misogyne et raciste sur le bord du chemin.
Savoir tourner la page
Les crises amicales sont douloureuses mais elles permettent de faire le tri et de se remettre en question.
Il faut savoir se séparer et accepter que sur l’autoroute de l’amitié, certains prendront la prochaine sortie (c’est beau ce que je dis aujourd’hui, tu ne trouves pas ?) tandis que d’autres finiront le trajet avec nous malgré les dos d’âne et les bouchons. Et avec ceux-là, il est toujours possible de faire la paix.
Allez je te laisse, j’ai soirée tisane tricot avec les anciens de la promo 1984 !