Ces femmes noires, rondes et fières qui bousculent les codes de la beauté
La manière dont les réseaux sociaux et les marques de mode ont adopté le mouvement de ‘body positivisme’ au cours des dernières années a permis l’émergence de personnalités XXL, des femmes noires, rondes et fières qui bousculent les codes de la beauté et renversent les discriminations sociales en assumant leur corps et en revendiquant leurs courbes.
Incarnant fièrement la diversité dans tous les sens du terme, plusieurs créatrices, artistes, entrepreneures ou influenceuses aux formes assurées dénoncent pourtant le manque d’inclusion dans le monde de la mode, une industrie encore régie par la norme.
Le mouvement ‘body positive’ encourage les femmes à s’aimer telles qu’elles sont, quel que soit les diktats imposés ou le regard des autres. Or, certaines considèrent que le changement s’opère trop lentement et appellent à une représentation en adéquation avec la société dans son ensemble avec plus de diversité, plus de mannequins au-dessus des tailles standards et des vêtements conçus et adaptés à tous types de morphologies.
Yasmine Agbantou : Amener les femmes rondes sur le chemin de la Rebellion
Pourquoi ne trouve-t-on pas de vêtements adaptés à toutes les morphologies ? Pourquoi les femmes rondes sont-elles moins représentées que les plus minces ?Comment habiller une femme de grande taille pour qu’elle se sente belle et bien dans sa peau ? A 28 ans, une taille 46 et assumant ses rondeurs, Yasmine Agbantou a fait le tour de ces questions.
Lasse de ne pas trouver des vêtements conçus pour sa taille, la fondatrice et directrice créative de la marque couture Mimine AG, a décidé de prendre le taureau par les cornes et d’entamer sa Rebellion, une collection de vêtements de « qualité et sensuels crées pour que les femmes de grandes tailles (de 40 à 52) se sentent bien et belles ».
« Il faut s’accepter comme on est et vivre sa vie. Beauté n’égale pas minceur, on peut être belle et en formes », clame la jeune entrepreneure.
Après s’être fait la main et avoir appris les techniques de haute couture dans de prestigieuses maisons telles que Ralph & Russo et Peter Pilotto, la jeune styliste franco-béninoise a appliqué son savoir-faire pour inclure les femmes de grande taille.
« J’ai une poitrine très forte, j’ai un peu de ventre, j’ai des formes… et il n’y a pas assez de marques de luxe qui justement se focalisent seulement sur les femmes en formes« , déplore-elle.
L’aventure a commencé en 2019 lorsqu’elle se rendait à un mariage au Bénin. « Pour la première fois je me suis dit que j’allais me faire une robe avec des techniques de couture. Je suis un 46 et les tenues que je faisais avant étaient de taille standard 34 à 44. Et alors quand j’ai mis cette robe, je ne me suis jamais sentie aussi belle de toute ma vie d’adulte« .
Plus de tailles conçues pour les femmes rondes
» Les femmes rondes … On veut juste être libres « .
Aujourd’hui Mimine prône l’émancipation des femmes, la diversité et le droit de faire ce que l’on veut avec son corps et dénonce le manque d’inclusion dans le monde de la Haute Couture.
« Dans la mode, quand on fait des collections, les échantillons sont fabriqués en taille 34, une taille dite ‘standard’. Et ça va jusqu’a une taille 44. Généralement, les tailles 44, une fois qu’on les achète et qu’on les essaye, on se rend compte que ça ne va pas vraiment à un corps qui a des formes parce qu’elles ont été pensées pour une femme qui a une taille 34 et ensuite élargies, et généralement ça ne va pas ».
Ambitieuse, Mimine espère dans les années à venir ajouter d’autres tailles « parce qu‘il y a des femmes qui ont besoin de tailles plus grandes qu’un 48 ou un 50 par exemple. Et ces femmes-là aussi méritent d’avoir des vêtements de qualité, sensuels, qui leur font se sentir bien et belles« .
La qualité n’est pas toujours au rendez-vous
Mimine reconnait qu’il y a beaucoup plus de marques (luxe et prêt a porter) aujourd’hui qui essaient de rajouter des catégories ‘curvy’ mais pour elle, la qualité n’est pas toujours au rendez-vous. « Ces marques utilisent beaucoup des tissus qui ont de l’élasticité et le problème avec ces vêtements, je trouve, c’est qu’ils montrent toutes les imperfections du corps, que ce soit la cellulite ou les bourrelets etc, et je ne trouve pas que ce soit flatteur ».
Forte de sa connaissance des corps de femmes africaines « plus pulpeuses que les femmes occidentales » et de son expertise de la clientèle des Émirats, Mimine sait que « les femmes qui ont des formes ont besoin de vêtements qui sont plus travaillés, pour aider justement à sculpter notre corps et à cacher ces parties qu’on n’aime pas forcément ».
« Les marques sont conscientes du problème et du mouvement de ‘body positivisme’ mais faire des tailles plus grandes demande une autre expertise, plus de tissu, plus de travail et je pense qu’ils ne sont pas prêts ou intéressés », ajoute Mimine.
Rihanna : Célébrer la beauté féminine sous toutes ses formes
Si les marques ne sont pas toutes encore prêtes, d’autres personnalités partagent le même combat et font aussi avancer les choses en matière de lutte contre les discriminations.
La marque Savage X Fenty de Rihanna a connu un grand succès avec notamment sa lingerie inclusive qui a pour message de réconcilier les femmes avec leur corps.
La démarche de la chanteuse originaire de la Barbade incarne une vision inclusive de la beauté. Et le succès a été immédiat avec notamment 4,2 millions d’abonnés sur Instagram où le compte #SavageXFenty regroupe tout un éventail de morphologies et carnations.
Gaelle Prudencio : Bousculer les codes pré-établis
Blogueuse, influenceuse et créatrice de mode et de contenu, Gaelle Prudencio est l’une des porte-voix du mouvement Body Positive.
Avec le #FrenchCurves crée en 2013, cette juriste de formation en droit social encourage les femmes rondes à s’aimer et à s’accepter telles qu’elles sont. « Aujourd’hui, celui-ci réunit une cinquantaine de blogueuses francophones taille 42 et plus ».
Très engagée, cette jeune entrepreneure milite depuis 2007 pour la valorisation de l’image du corps de toutes les femmes.
« C’est bien qu’il y ait plus de représentation et que les marques s’ouvrent, cela permet d’ouvrir l’esprit dans l’espace public mais il y a encore beaucoup à faire« , rappelle-t-elle.
Même s’il arrive désormais de voir une ou plusieurs femmes rondes en couverture de magazine, il est facile de se rendre compte qu’aujourd’hui encore, l’image de la femme idéale est celle d’une femme mince, svelte.
Gaelle regrette que « dans les faits, lorsque l’on va en magasin on ne trouve pas forcement de vêtements adaptés ou alors il faut aller sur Internet. Surtout quand on sait qu’en France, 40 % de la population s’habille en taille 42 ou plus, et que ce sont les tailles qu’on trouve le moins en magasin ».
Gaelle reconnait néanmoins que certaines enseignes ‘fast-fashion’ ont fait un réel effort en proposant des gammes étudiées spécifiquement pour les grandes tailles, avec des coupes plus travaillées.
« C’est grâce à eux que beaucoup de femmes grosses peuvent s’habiller mais il y a des questions d’écologie et d’environnement qui rentrent en compte. Les femmes rondes ont aussi des engagements vis-à-vis de la planète ».
L’entrepreneure aux multiples casquettes prône également l’acceptation de soi et revendique ses origines à travers Ibilola, sa ligne de vêtements, la première ligne de vêtement grande taille (à partir de taille 44) en WAX, lancée en 2017. Une marque collaborative entre le Benin et la France. Son but ? Célébrer « les personnalités aux morphologies qui sont rarement mises en valeur ».
« S’habiller quand on dépasse un 44 a longtemps été le parcours du combattant pour un bon nombre de nous. Je connais si bien la frustration d’entrer dans un magasin et de ne pas trouver sa taille dans les rayons« , écrit Gaelle sur sa page Instagram.
Gaëlle déplore aussi le fait que les étudiants en écoles de mode ne soient pas formés ni encouragés à être inclusifs en matière de confection.
« Il faut un réel savoir-faire pour travailler sur les vêtements de grande taille, une technicité particulière. Il faut prendre en compte la morphologie et les spécificités des corps », dit-elle.
La jeune entrepreneure d’origine béninoise mais née au Sénégal, a également publié en janvier 2021 ‘Fière d’être moi-même ‘. Elle décrit son premier livre comme un guide pour s’accepter quand on n’entre pas dans les normes de la société » et revient sur les nombreux régimes entamés au cours de sa vie, sur sa vie d’entrepreneure et son parcours sur l’acceptation de soi.
« C’est très rare de voir un livre publié dans une grande maison qui soit disponible sur la table des libraires. C’est si rare de voir une couverture avec une femme noire, grosse, avec des cheveux naturels, francophone… « .
Une réussite pour cette jeune femme de 37 ans qui ne compte pas s’arrêter là, affirmant que « tant qu’il y aura encore des discriminations par rapport à notre apparence, je serai toujours là ».
Yseult : « Notre colère est légitime«
La performance engagée de la chanteuse Yseult lors de la dernière cérémonie des Victoires de la musique 2021 s’inscrit dans une démarche politique montrant que la question de la représentation est fondamentale.
La jeune artiste de 26 ans a marqué les esprits pour plusieurs raisons : sa tenue, sa performance entourée pour la première fois de personnes aux corps et carnations différents des canons habituels et le discours qu’elle a prononcé après avoir reçu son prix, révélation féminine 2021.
« C’était important de faire cette victoire avec vous, d’être avec des personnes qui me ressemblent, qui sont comme moi, qui m’entendent et qui me comprennent, qui comprennent ma colère qui est légitime », a déclaré l’artiste.
Pour interpréter sa chanson Corps, Yseult portait une combinaison Mugler moulante faite de découpes géométriques similaire à celle que portait l’artiste Beyonce en couverture du Vogue British de décembre 2020.
En choisissant cette tenue dévoilant ses rondeurs, l’artiste a signé une performance engagée, prenant position contre le racisme et la grossophobie : « Le chemin est long en tant que femme noire, femme grosse, oubliée de la société et de la culture« .
« Notre colère est légitime », a-t-elle scandé plusieurs fois avant d’ajouter « Ce n’est pas une victoire que pour moi, mais aussi pour mes frères et sœurs. On est allés arracher cette place et on la mérite ».
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