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DU SEXE ET DES FEMMES NOIRES : JE JOUIS DONC JE SUIS ?

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ouze femmes noires n’ont en tête qu’une seule destination : le sexe. Leurs croupes insolentes pourraient donner des complexes à Kim Kardashian, des turgescences impérieuses s’insinuent dans les replis de leur anatomie, nous partageons avec ces pécheresses une lubrique complicité. « Oui, elle était une païenne, si cela voulait dire qu’elle était faite pour l’amour, qu’un cœur lui battait aussi dans la chatte, que son corps était un temple, une cathédrale où venaient vibrer les sons, les souffles, les trompettes de sa jouissance », proclame Bahia, l’héroïne de Païenne, nouvelle d’Axelle Jah Njiké.

Pour cette proposition littéraire insolite, Léonora MIANO nous indique que dans l’appel aux textes communiqué aux participantes, auteures du monde noir, rien ne fut dit, au-delà de la simple formulation : « Volcaniques : une anthologie du plaisir ».

L’ASCODELA, et Johanne DAHOMAIS, devenues pour une soirée unique, fournisseuses attitrées en littérature licencieuse, présentaient le 15 décembre 2017, le recueil de douze nouvelles, VOLCANIQUES, publié aux Editions Mémoires d’Encrier, en décembre 2014, sous la direction de Léonora MIANO.

Les fulgurances littéraires de nos candidates à la jouissance, respecteraient-elles cette « vérité » proclamée dès les deux premières lignes de l’extraordinaire roman de Tarun J  TEJPAL « Loin de Chandigarh » : « L’amour n’est pas le ciment le plus fort entre deux êtres. C’est le sexe » ?

Confiées à des mains expertes, les nouvelles dévoilent des formes narratives et environnements divers. La slameuse SILEX, par exemple, dans Dedans et Dehors, enracine son écriture dans un univers décalé et mystérieux, assez angoissant, où les correspondances poétiques sont quelquefois hermétiques, peut-être pour en faire ressortir avec plus d’acuité la trame onirique lesbianique.

Les figures féminines sont tout aussi dissemblables. Toutefois, excepté Christine, issue d’un milieu populaire, les personnages proviennent d’horizons sociaux privilégiés , ou universitaires, ou se muent en « liane(s) éthéré(es) en tailleur Armani perle ».

Est-ce un signe des temps, ou une revendication féminine éternelle ? Leurs alter-ego masculins sont particulièrement virils. Dans la plupart des nouvelles, « Âgé de vingt-cinq à trente-cinq ans, le Jamal présent(e) tous les attraits du highly fuckableman ». D’un battement de cils, les pupilles de ces chasseresses enregistrent au travers d’un pantalon de smoking noir, ou du bermuda d’un déménageur, les cuisses musclées comme celles d’un rugbyman, le corps taillé en V parfait, … des torses mâles musculeux, bras et jambes bandés, des nègres aux allures d’Apollon taillés dans le bronze ou l’ébène ou l’ébonite.

Avec Nez d’aigle, dents d’ivoire de Gaël Octavia, une adolescente martiniquaise se lancera dans la quête éperdue d’un Nigérian, rencontré en Martinique, « au visage africain qui ne ressemble à ce qu’on dirait, à aucun des nègres d’ici. Elle suit la courbe de son nez d’aigle royal (finissant) par ses lèvres pleines qui découvrent l’ivoire impeccable de ses dents ».

La représentation du mâle noir sublimé, peut paraître poussée à l’extrême, mais Ta bouche sur mon épaule gauche, de Marie Dô, semble rétablir quelque peu l’équilibre. « L’homme se retourne dans la lumière. C’est toi. Cheveux blonds ou blanc clair sur la nuque…Un toi inconnu. Fièvre et glace de ton regard bleu sous le tourment du front ». A contre-courant, également, la surprenante nouvelle RAYON HOMMES de Fabienne Kanor, dans laquelle l’épouse d’un riche cadre bancaire africain, est chargée par ce dernier de faire le tour des capitales pour l’alimenter en cravates chics. Vous aurez compris que ses escapades sont aussi sexuelles, mais très ciblées. « Non pas que je sois raciste et que je ne fantasme que sur les Blancs, mais parce que je refuse de me taper huit heures d’avion pour copuler avec mes frères ».

Et en toutes circonstances, les femmes ont plus d’un tour dans leur sac pour assouvir les désirs qui les tenaillent. Dans « Un petit feu sans conséquence », de Gisèle Pineau, la nature a doté Monsieur Benoit d’un « petit fusil d’enfant en plastique mou. Il n’a jamais pu tirer la moindre balle. Un machin incapable, comme frappé d’une malédiction ». La veuve de Monsieur Benoit, sur son lit de souffrance , révèle ses déceptions à l’adolescente Sonia, elle qui attendait que quelque chose de « mirobolant » sorte de l’entre-jambes de Monsieur Benoit.

« Ses cheveux gris étaient rares et tirés en quatre choux pathétiques. Elle sentait l’urine et l’eau de cologne, ses yeux étaient vitreux, son teint sépia. La mort semblait déjà l’étreindre ».

Le contraste avec la jeune Sonia, qui veut profiter de ses vacances en Guadeloupe, sans en perdre une miette, est particulièrement réussi.

Chargée par sa mère depuis la France, de rendre visite à la vieille tante, sur son lit d’hôpital, elle peste contre la corvée imposée.

Par défi, Sonia a enfilé un de ses mini-shorts blancs et son débardeur rose sur lequel était écrit LOVE en lettres capitales noires. Sans soutien gorge, ses petits seins ronds bien fermes pointaient leurs tétons dessous le coton tendu, pareils à des mangues vertes qui promettaient de mûrir encore et encore, jusqu’à produire un jus onctueux qu’on ne se lasserait pas d’avoir en bouche.

La vieille dame, transformée en Xaviera Hollander*, initiatrice inattendue et exceptionnelle, confiera à Sonia, qu’on peut accéder au plaisir sans tromper son mari. Il y avait tant de bons samaritains, collègues de son mari, qui ne cessaient de tourner autour d’elle dès que Monsieur Benoit partait sur ses chantiers. « C’était pas un pêché d’offrir sa fente en offrande à la bouche de tous ces bons samaritains, et qui ne demandaient rien en retour ».

La femme de ménage avide de sexe et victime consentante

Dans LE DEALER, d’Hemley BOUM, Christine, fille de la campagne venue tenter sa chance à la capitale, ( Yaoundé), et habitant chez sa cousine plus fortunée, raconte avec délectation à cette dernière, que ses amants – de son patron au commerçant de la rue-, la prennent toujours à la hussarde, entre deux portes, avec des étreintes brutales.

« Ce matin, quand je suis arrivée au travail, le fils du patron m’ attendait. A peine ses parents partis il m’ a rejointe dans la cuisine, son bangala à la main si tu avais vu le truc , gros comme ça, elle se saisissait de son avant bras, et dur comme le pilon du mortier. Je nettoyais le sol quand il est entré dans la cuisine ma chère, il n’a même pas pris la peine d’enlever ma culotte il l’a repoussée sur le côte et tchouk, il m’ a enfoncé son truc. 

A midi, le patron est revenu, soi-disant pour faire une petite sieste avant d’aller travailler. C’est un vrai pervers. Il m’oblige à regarder des films X avec lui, et veut me faire tout ce qu’il voit sur son écran ».

« Je rentre ce soir, devine qui m’entraîne au fond de sa boutique ? Il n’avait pas beaucoup de temps, en cinq coups, c’était fini… Tous ces hommes vont me tuer ».

L’érotico-cérébrale

Comme en contrepoint, la jeune cousine, déjà au plus haut point émoustillée par ces confidences survoltées, accède à la sensualité par la lecture d’ oeuvres érotiques, fournies par un camarade de lycée, YAO, alors qu’ils n’entretiennent aucun rapport physique. On peut donc s’ arrimer à l’ auteur, et faire sien son fantasme .Les mots font grimper le plaisir comme une drogue trop forte, assimilable au shoot. « Même si aucun homme ne m’avait touchée, j’étais la fille la moins vierge de la création »

La présence physique virtuelle de ses amants l’irradie. Lorsqu’elle se douche, après s’être baignée dans ce paradis de luxure à elle seule destiné, et dont Yao est le gardien bienveillant, elle sent sa peau érotisée à l’extrême, crépiter au contact de chaque goutte.

La victime d’un faru rab

Maître Es de l’écrivaine Nafitassou Dia Diouf nous fait découvrir Builguissa Bellow, avocate brillante. Des visions érotiques ne la quittent plus. Incube, Faru rab en Afrique, ou Dorlis aux Antilles, un être surnaturel lui impose des relations sexuelles pendant son sommeil.

Le guérisseur que la mère de l’avocate appelle à la rescousse livre son verdict, tout en regardant la jeune femme avec concupiscence. « Ta  fille  est habitée par un faru rab, un amant djinn, qui est très jaloux, et ne laisse personne s’en approcher ».

L’ambivalence des sentiments de la victime supposée, les délices charnels qui résultent de ces étreintes forcées, mais tout autant consenties, nous éloignent cependant des entités démoniaques. Et ne pourrait- on pas voir, d’ailleurs, dans cette nouvelle, une transposition, – comme le soutient Jean-François Froger dans la Voie du Désir ( DésIris 1977) -, de la description de l’amour nocturne entre une mortelle et une divinité masculine, qu’il identifie dans un passage du Cantique des Cantiques ? Bilguissa reconnaîtra en ce beau magistrat, au premier contact, alors qu’elle s’évanouit dans ses bras, en plein tribunal, l’être surnaturel qu’elle vénère et qui la comble.

La délaissée à la recherche de sensations fortes

Dans le cadre idyllique de « Taberi River » , cottage de l’île de la Dominique, où rivières et montagnes semblent une invitation à l’abandon charnel, Léto part en pélerinage amoureux dans l’île de la Dominique. Gilda Gonfier ne fait pas mystère de la quête de son héroïne. « Léto voulait un homme ».

La solitaire

Café noir sans crème de Nathalie ETOKE, nous présente Keisha, jeune femme séduisante, et pourtant victime d’une solitude atroce. Nathalie ETOKE, professeur aux Etats -unis , a écrit « la melancholia africana  perte, deuil et survie en Afrique et dans la diaspora », et souligne

« l’indispensable dépassement de la condition noire ».

La débauchée

A l’opposé, notre amazone dans RAYON HOMMES de Fabienne Kanor, se livre à une débauche sexuelle débridée, acceptant avec frénésie son rabaissement sexuel et son avilissement, adoptant avec gourmandise des postures scabreuses, livrée aux regards des passants, accroupie et urinant , avant de suivre le premier venu, dans des ruelles infâmes.

Pour cette descente dans l’assujettissement au désir de l’autre, nous évoquerons Anaïs NIN dans sa Correspondance passionnée ( Editions Stock) à Henry MILLER :   « Pourquoi ne pas jouir aussi de sa maladie ? Il arrive qu’on tombe malade, simplement pour pouvoir rester un peu seul. On a besoin d’être malade et de se vautrer dans sa maladie » ; mais aussi Dominique AURY ( alias Pauline REAGE ) dans Histoire d’ O.

« Chaque jour et pour ainsi dire rituellement salie… elle se sentait à la lettre le réceptacle d’impureté, l’égout dont parle l’écriture,… Qu’à être prostituée, elle dût gagner en dignité étonnait. Elle en était éclairée…et l’on voyait sur son visage… l’imperceptible sourire intérieur, qu’on devine aux yeux des recluses ».

Léonora MIANO nous prévenait. Pour chacun le volcan est cette structure connue pour la puissance de cette éruption.

Mais en dépit de sa forme érectile, le volcan est aussi creux.

Se dressant vers le ciel, tout en abritant des abîmes, il a un côté androgyne.

L’analyse du phénomène de l’éruption, écartant la perspective de la joie, impose au contraire le danger, voire la mort.

Loin de favoriser et d’entretenir la vie, il peut la menacer, la pétrifier.

La Diane chasseresse révoltée

Et c’est assurément un bien sombre tableau que brosse Elizabeth Tchoungui, dans la nouvelle «  Diane chasseresse », après avoir fait proclamer par ses héroïnes, ( Notre) clitoris est ( notre) talisman…

« On n’a même plus besoin d’eux pour nous reproduire, avec les congels de sperme, .. Marre de leurs bites qu’ils prennent pour des totems. Qu’on la leur coupe ! Ô pénis, ton absence m’envahit ».

Ce serait illusoire de penser que les bataillons d’enfants de nos pays déshérités sortiront indemnes, « après s’être gâtés dans des Scies qui célèbrent les vertus de la fornication »,… « les trémousseuses sont aux anges. C’est à qui enverra sa fesse au plus offrant. Sitôt juchées sur leurs deux jambes, les gamines de deux ans sont déjà dans les danses du périnée, petites créatures souillées. On a les poches vides, et l’avenir est une muraille, alors on danse, on danse , comme dit Stromae. On nioxe, on nioxe. On baise, on baise.On s’abîme dans la bite. Accessoirement, on fait des enfants. Des dommages collatéraux. Ils mourront du palu ou rêveront au développement ».

La passion sexuelle n’est-elle pas teintée de spiritualité ?

« Le sexe n’est pas le ciment le plus fort entre deux êtres. C’est l’amour » avoue finalement le personnage de Tarun J Tejpal, dans « Loin de Chandigarh ».

Et pour rester dans la voie tracée par nos douze « nouvellistes » noires, ne dit-on pas que Le Cantique des Cantiques, que nous avons déjà cité, pourrait avoir été composé par une femme ?

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