Avortement clandestin: Incursion dans un domaine interdit mais pratiqué. 15 % de décès maternels sont liés à ce mal
Après un avortement clandestin et non sécurisé, nul ne maîtrise les conséquences (Photos d’archives)
L’avortement est un problème qui ne saurait être ignoré à l’heure où, pratiqué clandestinement dans de mauvaises conditions d’hygiène, il cause, chaque année des décès en Côte d’Ivoire. Sur 614 de mortalité maternels, 15% sont issus de ce mal.Malgré son interdiction, bon nombre de femmes portant des grossesses non désirés continuent de pratiquer des avortements non médicalisés. Incursion dans ce milieu qui endeuille toute une famille. En un mot, un pays.
Il est 15h30 min, nous sommes dans la commune d’Abobo Pk 18. Nous décidons d’accompagner une connaissance qui veut se faire avorter, vu la situation difficile qu’elle traverse. Nous nous rendons donc dans un centre de santé à cet effet. Centre, qui d’ailleurs nous a été conseillé par une de nos amies qui avait apparemment « l’habitude » de pratiquer l’avortement dans ce lieu. Sur le chemin qui mène dans cet établissement, nous apercevons, des maisons plus ou moins délabrées, des enfants à moitié vêtus qui s’amusent par endroit. Un autre ami que nous avons emballé dans notre enquête devait jouer le rôle de l’engrosseur, qui, compte de sa situation d’homme marié, a opté pour un curetage. Chose qu’il a accepté en retour de quelques bières. Après plusieurs détours dans le quartier, nous retrouvons le fameux centre de santé. C’est un établissement délabré de couleur bleu, les mesures d’hygiène laissent à désirer, sans parler du matériel de soins, avec à l’intérieur deux jeunes filles en blouse blanche, l’une assise derrière une table et l’autre étendue sur un banc entrain de converser. C’est là que nous décidons de mettre notre scénario en marche. Mon ami d’un air très en colère se met à crier sur sa soi-disant copine (mon amie) à l’entrée du centre. Afin d’éviter tout soupçons, moi à mon tour essaye de le calmer. Tout en lui faisant comprendre que ce n’est pas le moment de s’accuser. Le mal est déjà là : Nous devons trouver la solution.Ma copine, à son tour, je joue les attristée, du genre la ‘’go’’ déçue. Quand nous sommes à l’intérieur de ce lieu sanitaire, il se fait passé pour un patient qui a pour habitude de le fréquenter. Il lance un bonjour aux dames, qui surprises de notre arrivée, se mettre dans des dispositions raisonnables pour nous recevoir. C’est à cet instant qui leur explique que nous voulons voir le docteur et que c’est confidentiel. Elles nous font savoir qu’il vient de partir, si nous pouvons revenir le lendemain. Mon ami, leur demande avec insistance que c’est urgent et que nous venons de loin qu’elles essaient de voir ce qu’elles peuvent faire pour nous. Quelques minutes de silence, puis l’une d’entre elles nous fais savoir qu’elle va essayer de le joindre pour lui expliquer notre urgente. Elle prend son téléphone de son sac et décale pour passer le coup de fil. Après quoi, elle nous fait savoir qu’il sera de retour qu’à 17 h, si nous pouvons patienter. Chose que nous acceptons. Pendant ce laps de temps, nous faisons semblant d’être en désaccord dans nos discussions le temps qu’arrive le médecin.
- Arrivée du médecin
17h30 min, c’est un homme de teint noir, de taille moyen, vêtu de chemise en pagne et d’un pantalon jean qui fait son entrée dans ce lieu. A son arrivée, il a l’air d’une personne de très pressé. Il se dirige vers les jeunes filles et lance ceci ‘’ Bonsoir, où sont les gens qui veulent me voir là. Parce que je dois retourner pour une urgence familiale’’ dit-il. Puis, il entre dans son bureau.C’est à ce moment-là, la fille se dirige vers nous et nous fait savoir que c’est lui le médecin qu’on patiente deux minutes, le temps qu’il s’installe. Les minutes qui suivent, elle annonce notre arrivée. Nous entrons dans un bureau ou est affiché plusieurs messages et images de santé sur le mur. Le médecin, après salutation, nous invite à prendre place, il nous demande le but de notre visite si urgente. C’est ainsi que mon ami (l’engrosseur) prend la parole pour lui expliquer les raisons de notre visite, après présentation. Très attentif pendant la causerie. Nous nous disons que le problème est résolu. Vu son attitude. Comme toute attente, il nous fait savoir qu’il ne fait pas d’avortement et que c’est interdit par la loi. Comme une vraie comédienne, mon amie (l’enceinté) luiexplique qu’elle ne sait pas quoi faire, mais qu’il lui vienne en aide quel qu’en soit le prix. Puisqu’elle est enceinte d’un mois deux semaines. ‘’ Docteur, même si toi tu ne le fais pas, pardon conseille-nous quelqu’un de fiable. Stp aide-moi. Je suis dans le besoin’’. Embarrassé, il nous fait des remontrances. ‘’Désormais prenez vos précautions. Il y a beaucoup de contraceptions pour éviter de contracter une grossesse. Aujourd’hui, je vais le faire, mais demain si vous ne prenez pas vos précautions, ne pensez pas que je le ferai encore…’’ confie-t-il. Avant d’ajouter qu’il va le faire à 40.000frcs avec les médicaments y compris. Chose que nous acceptons sans difficulté. Rendez-vous est donc pris pour le lundi matin, à 10h. Ma copine ne devais ni manger, ni boire la veille après 20h jusqu’à ce que l’opération se fasse. C’est sur ces recommandations que nous prendrons congés de lui. Nous avons atteint notre objectif. Savoir et vérifier que l’avortement clandestin se fait dans ce lieu.
Quand l’ingestion de substances caustiques ou de solutions à base de plantes dans la danse
Si, en général, les avortements chirurgicaux sont considérés les plus courants d’autres méthodes comme l’ingestion de substances caustiques ou de solutions à base de plantes sont plus courantes chez les femmes pauvres et parmi celles des milieux ruraux. C’est dans cette optique que nous mettons le cap sur le grand marché d’Adjamé non loin d’une voie très connue et d’un grand établissement que nous gardons l’anonymat. Des jeunes filles assises à coté de leurs marchandises, nous invitent à venir découvrir les secrets de femme. Toute souriante, nous nous approchons de leurs étales comme de vraies clientes pour éviter tout soupçon de leur part. Arrivée à leur niveau, une d’entre elle se propose d’être la meilleure du coin et reconnue en matière de secret de femme. Alors nous décidons d’échanger avec elle. Primo, elle nous montre des astuces pour maintenir son homme et bien d’autres. Vu que notre objectif, ce ne sont pas ces secrets que nous recherchons. Nous lui expliquons discrètement notre présence. ‘’ J’ai un retard de deux semaines. Si elle a quelque chose pour moi dans ce sens’’.C’est ainsi qu’elle me propose ceci : ‘’ Il y a une herbe, tu la piles, et tu la mets avec de l’eau. Ce n’est pas bon à boire, mais tu prends ça. L’effet n’est pas automatique et immédiat, parfois il faut le prendre pendant des semaines pour que ça finisse par marcher : à chaque fois que tu as soif, tu bois ça. » précise-t-elle. Dans la même veine, elle me propose un autre traitement en me disant : ‘’La décoction à boire n’est pas le seul moyen, il y a aussi des plantes réduites en poudre mélangé à de l’eau, tu peux les mettre directement dans le sexe. Ça ne dure pas au bout de deux jours, tes règles vont venir. Tanti, c’est bon. Il y a longtemps que je suis au marché ici. Toi-même, tu vas voir, moi mes médicaments toutes les filles connaissent. C’est chap. chap. Il a des comprimés aussi…’’ Elle nous donne les différents prix qui vont de 2000 à 5000frcs. Mais avec des risques que nul n’ignore les conséquences. Nous faisons semblant d’échanger avec elle pour voir ce qui est meilleur et efficace. Au finish, nous optons pour la poudre. Nous lui remettons la somme de 2500frcs avec toutes les consignes indiquées par la vendeuse. Interdite par la loi mais pratiqué clandestinement et dans des environnements non médicalisés, la pratique de l’avortement est devenue un marché lucratif par des tradi-praticiens et des médecins généralistes, qui en font un gagne-pain. Ces personnes non qualifiées pour cet acte le pratiquent à longueur de journée et exposent les patientes à des complications graves. Pratiqué dans des conditions insalubres, l’avortement reste l’une des causes principales de mortalité maternelle dans le monde.
Par Florence Edie
Une vue du matériel utilisé
Oui à la vie avec l’avortement sécurisé et non à la mort…
Il est vrai que les gens parlent de l’avortement comme le « choix d’une femme ». Le problème c’est que ce choix est en conflit direct avec le droit de vivre de l’enfant à naître. Une femme a peut-être le droit de faire ce qu’elle veut de son propre corps, mais certainement pas du corps de quelqu’un d’autre. Les promoteurs de l’avortement veulent faire croire aux femmes que leur enfant n’est rien d’autre qu’un amas de cellules. Ce que l’on ne vous dira pas, c’est que lorsque vous avez subi un avortement, vous êtes plus susceptible de souffrir d’une fausse couche ou d’une naissance prématurée lors de vos grossesses futures etc. interdire l’avortement pousse les femmes et les filles à avorter de façon clandestine et illégale, mettant en danger leur santé et leur vie, portant atteinte à leur droit à la vie privée et à leur droit de ne pas subir d’actes de torture ou d’autres mauvais traitements, ni de discrimination. Ne pas autoriser l’avortement signifie priver les personnes qui en ont besoin de ces droits. Tous les gouvernements doivent dépénaliser l’avortement en toutes circonstances et permettre aux personnes enceintes qui en ont besoin de bénéficier de services sûrs d’interruption volontaire de grossesse, pour qu’elles ne soient pas contraintes d’avorter dans des circonstances dangereuses qui présentent un risque pour leur vie.
Résultats clés
On estime que 4 à 5% des femmes en âge de procréer ont eu un avortement potentiel dans les 12 mois précédant l’enquête du Performance Monitoring and Accountability 2020 (PMA2020), soit entre 210 000 et 288 000 avortements par an en Côte d’Ivoire.
- En 2017, l’incidence des avortements potentiels était de 36,9 pour 1000 femmes de 15 à 49 ans en Côte d’Ivoire, selon la déclaration des femmes elles-mêmes et de 50,8 pour 1000 si on se réfère à l’expérience de leur confidente proche. Ceci correspond à un nombre d’avortement estimé entre 210 000 et 288 000 avortements sur l’année.
- Plus de 6 avortements sur 10 sont considérés à haut risque, et 10% des femmes rapportent des complications les ayant conduites à consulter dans une structure de santé. Les femmes en milieu rural, les femmes qui n’ont jamais été scolarisées, et les femmes les plus pauvres sont plus souvent confrontées aux avortements à haut risque.*
- La plupart des hôpitaux de l’échantillon en Côte d’Ivoire fournissent des soins post-avortement (94%) et des services d’avortement en cas de mise en danger de la vie de la mère (88%) ; Ces services étaient toutefois moins proposés dans les structures publiques de soins primaires et dans les structures privées.
15 % de décès maternels sont liés aux avortements
Selon l’Enquête démographique et de santé (EDS 2012), le ratio de mortalité maternelle est estimé à 614 décès pour 100 000 naissances vivantes en Côte d’Ivoire, l’un des ratios de mortalité maternelle le plus élevé en Afrique subsaharienne, et 14% de ces 614 décès sont liés à l’avortement clandestin. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les avortements clandestins représentent 15% des décès maternels. En Côte d’Ivoire, le taux de prévalence contraceptive tourne autour de 21%, alors que le pays s’est fixé un objectif de 36% à atteindre en 2020.
Que dit la loi
Ratifié et publié dans le journal n° 2011-26 par l’Etat Ivoirien, le protocole de Maputo (Article 14) qui spécifie qu’il faut protéger les droits reproductifs des femmes, particulièrement en autorisant l’avortement médicalisé, en cas d’agression sexuelle, de viol, d’inceste et lorsque la grossesse met en danger la santé mentale et physique de la mère ou la vie de la mère ou du fœtus. il n’est pas appliqué en Côte d’Ivoire malgré ces engagements,. Bien au contraire, elle a l’une des lois les plus restrictives sur l’avortement avec l’article 366 qui stipule que « quiconque », par aliments, breuvages, médicaments, manœuvres, violence ou par tout autre moyen procure ou tente de procurer l’avortement d’une femme enceinte, qu’elle y ait consenti ou non est puni d’un emprisonnement d’un à cinq ans et d’une amende de 150 000 FCFA à 1 500 000 FCFA (…) .
Réalisée par F.Edie
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